Arras Film Festival 2019 : Jeanne ne rêve que de Blum

La petite histoire dans la grande, des amours impossibles, la passion au cœur de la guerre… Autant d’angles possibles et bouleversants pour parler d’un couple de confession juive, au cœur de l’occupation allemande, en France. Pourtant, aucun d’eux ne suffirait à résumer Je ne rêve que de vous, le nouveau film de Laurent Heynemann, porté par Elsa Zylberstein et Hippolyte Girardot.

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Elsa Zylberstein incarne Jeanne Reichenbach. Mariée à un industriel dévoué qui leur propose, à elle et à son fils, de partir à New-York pour fuir l’Occupation, Jeanne devient très vite « Janot ». C’est ainsi que l’appelle Léon Blum, l’amour de sa vie, depuis ses jeunes années adolescentes. Face à ce sentiment grandissant et inconditionnel, Gregori Derangère joue un mari qui choisit l’abnégation. Lorsque Jeanne refuse de partir avec lui, il sait pourquoi, il sait pour qui.

Dès lors, le film est une déambulation, dont les paysages d’Arras et sa région sont un écrin. Au rythme des lettres, des journaux et des nouvelles à la radio, l’urgence de la survie ne fait qu’un avec l’urgence de l’amour à vivre et de l’histoire à suivre. Cette conscience de l’immédiateté est particulièrement due à l’engagement socialiste de Léon Blum, symbole d’un monde politique à faire taire, sous le régime de Vichy. D’assignations en détentions, il reste fidèle à son devoir et à ses convictions. Hippolyte Girardot donne corps à un Léon Blum impressionnant de flegme et de détermination, pourtant soumis aux décisions incertaines de Vichy qui l’amènent vers son procès. Aussi constante, son attente impatiente de pouvoir revoir Jeanne, où qu’il soit retenu. Chacune de leurs retrouvailles est le fruit d’un stratagème qu’elle a élaboré avec fougue pour le rejoindre. Digne, Jeanne, « juive et riche », va jusqu’à demander à Pierre Laval (Philippe Torreton) l’autorisation de se rendre à Buchenwald pour être auprès de lui.

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Le régime de Vichy n’est pas le seul obstacle auquel elle se heurte. La belle-fille de Blum, Renée (Emilie Dequenne), se montre hostile à cet amour qui ne se dévoile qu’avec retenue, y compris dans le cercle familial. Là aussi, Jeanne se montre plus forte que son époque. Sans apitoiement, elle fédère les femmes qui l’entourent autour de sa propre conception de l’amour ; toutes attendent leurs maris, leurs amants. Elle, plus que les autres, sait à quel point s’écharper sur les convictions politiques ou morales de leurs hommes ne les amènera pas plus vite auprès d’eux.

Je ne rêve que de vous raconte avant tout la ferveur d’une femme pour vivre l’histoire d’amour de sa vie sans jamais s’y perdre : de Blum, elle tient ce flegme, cette dignité qui lui permet de rallier à sa cause les plus réticents. Autour d’eux, gravitent plusieurs figures. Du côté de Jeanne, son fils Georges, dont la présence est rare mais précieuse, au gré de comptes-rendus épistolaires de sa situation, de Lisbonne à Sao Paulo, jusqu’à Londres. Du côté de Léon Blum, Georges Mandel. Lui de gauche, Mandel de droite, leur rapprochement est inattendu mais conditionné par leur certitude mutuelle d’avoir rempli leur devoir, leur respect et leur mise en détention. Le film met d’ailleurs un point d’honneur à montrer les conditions de détention d’une élite politique, celle des otages d’Etat, entre hôtels dorés et aménagements, pour mieux souligner l’horreur des camps.

Le film se ressent à l’échelle des sentiments et du récit de Jeanne. Aussi, il ne faut pas chercher dans Je ne rêve que de vous une expérience cinématographique de spectacle. Si plusieurs scènes particulièrement intenses plongent le spectateur dans une bulle de tension ou de légèreté, tout est dans le sentiment et l’urgence. La fébrilité et le courage sont le leitmotiv du scénario, librement inspiré de Je vous promets de revenir, de Dominique Missika. Laurent Heynemann explique qu’il voulait faire un portrait de femme qui ne soit « ni une résistante, ni une collabo ». A la lecture du roman, Jeanne s’est imposée comme un véritable « personnage ». Pour le scénariste Luc Béraud, la passion de l’héroïne est le meilleur support pour articuler une « dramaturgie, pour ne pas faire un docu-fiction ».

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La lumière et la caméra épousent parfaitement les émotions des acteurs, en particulier celles d’Elsa Zylberstein. Renversante dans ce rôle de femme « habitée par un amour », selon les termes de l’actrice, elle parvient à accorder le lyrisme de ses déclarations à la quiétude pragmatique d’Hippolyte Girardot avec justesse.

A en croire l’interminable file d’attente à l’entrée du Casino d’Arras pour assister à l’avant-première et rencontrer l’équipe du film, Je ne rêve que de vous était très attendu. Les applaudissements et le débat qui ont suivi la projection laissent penser que le pari est réussi. Fort d’un casting prestigieux, pour les protagonistes autant que pour les seconds rôles, comme le souligne volontiers la productrice Nelly Kafsky. Le film est une formidable mise en lumière. Jeanne devient Janot Blum, là où les compagnons et compagnes d’illustres figures historiques sont souvent relégués au rang de prétextes romantiques.

Le film sort le 15 janvier dans les salles obscures.

Valentine Ulgu-Servant

Découvrez la bande annonce ici :


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