Arras Film Festival 2019 : « It must be heaven », la traversée d’un monde absurde

Avec son nouveau film, It must be heaven, Elia Suleiman s’offre un voyage contemplatif et loufoque entre Nazareth, Paris et New-York. Récompensé par la mention spéciale du jury au dernier Festival de Cannes, ce quatrième long-métrage du réalisateur palestinien se concentre une nouvelle fois sur ses thèmes de prédilection, l’identité palestinienne et l’exil.

Elia Suleiman

Pour comprendre l’univers si particulier dans lequel nous emmène ce film, inscrit dans la thématique « Cinémas du monde » du Arras Film Festival, il convient de rappeler qui est Elia Suleiman. Né en 1960 à Nazareth, en Israël, le réalisateur se considère comme palestinien, bien qu’il soit officiellement de nationalité israélienne. Cette contestation habite son oeuvre depuis son premier film, Chronique d’une disparition, sorti en 1996. Il joue alors son propre rôle, comme c’est le cas dans chacun de ses films depuis, dont le plus célèbre, Intervention divine, comédie tragique sortie en 2002. Ce long-métrage, qui traite de la vie quotidienne dans les territoires palestiniens, remporte cette même année le prix du jury au festival de Cannes. Elia Suleiman est alors déjà remarqué pour son sens de l’humour si particulier, mélangeant le burlesque et le dramatique avec une poésie et une nonchalance qui rappelle Jacques Tati ou Buster Keaton.

Un exil vers un paradis qui n’en est pas un

Cette personnalité, drôle et rêveuse, est particulièrement soulignée dans It must be heaven. Chapeau vissé sur la tête, lunettes posées sur le nez et mains croisées dans le dos, Elia Suleiman observe, silencieux, et part dans des pensées loufoques tout au long du film.

On le retrouve tout d’abord dans sa ville natale de Nazareth. Il regarde les habitants dans leur quotidien, rencontre une connaissance farfelue dans la rue ou surveille impuissant son voisin, qui vient lui voler des citrons dans son jardin. Il est le témoin d’événements, qu’il scrute d’un air ironique quoique parfois désespéré.

Soudain, il part. Le réalisateur s’envole et rejoint Paris, à la recherche d’un producteur pour son prochain film. Rapidement, l’effervescence estivale lui fait tourner la tête. Assis à la terrasse d’un café, il suit de son regard candide les femmes en robe légère ou en short qui passent. On en vient à se demander si il n’a pas trouvé le paradis dont il est fait référence dans le titre du film.

Mais, alors qu’un producteur, qui se justifie en continu de ses bonnes intentions davantage politiques qu’économiques, refuse de financer son film qu’il ne trouve « pas assez palestinien », Elia Suleiman se met à faire des parallèles inattendus entre la Ville-Lumière et son pays. Ses origines continuent de le suivre comme son ombre. La ville, d’abord si animée, se vide sans explication, et des militaires investissent peu à peu les rues. Des tanks passent devant la Banque de France, des avions sillonnent en formation le ciel. L’atmosphère rappelle à Elia Suleiman la Palestine, avant qu’il ne comprenne que la fête du 14-Juillet se prépare.

Le réalisateur décide alors de rejoindre New-York, toujours à la recherche de financements. La mégalopole américaine lui fait le même effet. Sans cesse, il est catégorisé comme différent, ou censé l’être. Une fois, c’est une productrice qui semble effrayée par lui, comme si son identité palestinienne faisait de lui un combattant. A un autre moment, alors qu’il prononce sa seule phrase du film pour informer son conducteur de taxi de son origine, celui-ci s’arrête et se montre si enthousiaste à l’idée de rencontrer un Palestinien qu’il lui offre la course.

Deux mondes qui se ressemblent

Tout le monde n’a de cesse de le catégoriser, alors que le réalisateur, dans sa réflexion muette et stoïque, semble pourtant trouver que les situations entre sa terre d’origine et ses terres d’accueil sont assez proches. Il ressent une volonté générale de contrôler, de surveiller et de sur-sécuriser la société, en lui imposant des frontières strictes et rigides. A Paris, les uniformes militaires sont omniprésents. De l’autre côté de l’Atlantique, les sirènes de police et les gyrophares sont constants, et les habitants se promènent chacun avec une arme à feu accrochée dans le dos ou à la ceinture. Une autre scène nous emmène aux contrôles de l’aéroport, qui évoquent les checkpoints en Israël, et pour lesquels le réalisateur semble bien connaître la procédure.

En fin de compte, Elia Suleiman retrouve dans cet exil la même ambiance lourde et violente qui contraste avec son attitude, souvent immobile et intrigué, prêt à trouver de l’humour dans ce fonctionnement toujours plus absurde de la société.

Bande-annonce :

Le film sortira dans les salles le 4 décembre prochain.

Aymeric Dantreuille


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